Lettre d'information 2024
Trocy, le 31 décembre 2024.
Chers amis,
Une autre année s'achève, et comme tous les ans – ou, plus justement, et comme dirait Goscinny, « comme toutes les années depuis l'année dernière» – voici la lettre d'information qui vous donnera des nouvelles de Conférence.
Huit livres ont paru en 2024. Certains n'ont pu voir le jour que parce qu'ils ont reçu le soutien particulier de membres de notre association ; qu'ils en soient ici vivement remerciés.
Par un mécénat de compétence, la Société des Amis a également permis aux Éditions de se doter d'un nouveau site internet. Celui-ci est désormais accessible à l'adresse suivante : www.editions-conference.fr.
De beaux livres sont prévus en 2025 et au-delà ; la suite de ce courrier vous en donnera un avant-goût détaillé, en textes et en images !
Avec l'assurance de notre reconnaissance,
Pour la Société des Amis de Conférence,
Ghislain Mercier
Pour les Éditions Conférence,
Christophe Carraud
Les livres parus
Huit livres ont pu être publiés en 2024. Vous pouvez les retrouver sur le site des Éditions en cliquant sur l'image ci-dessous.
Parmi les ouvrages soutenus par la Société des Amis :
- Journal 1939-1945. Piero Calamandrei.
- Temps suspendu. Alejandro Oliveros.
- Bestioles. Textes de Mauricio Castè, Jean Chavot et Toti O'Brien, illustrations de Pierre-Yves Gabioud et Anne Savary.
- Visages du Japon. Pierre Jacerme.
Les projets
Plusieurs livres vont paraître en 2025 et 2026. Ils vous sont présentés en détail dans la suite de cette lettre :
- « Car c'est moy que je peins. » Stratégies familiales et professionnelles de Joseph Vernet à travers l'étude de son livre de raison et de sa correspondance. Émilie Beck-Saiello.
- L'indispensable motif. Chiara Gaggiotti.
- Suprématie et malédiction. Andrea Emo.
- Lettres à Cristina Campo. Andrea Emo.
- La nouvelle démocratie directe. Giuseppe Capograssi.
- Contradictions médicales (et autres bizarreries affectant le droit, la santé et la vie). Danielle Moyse.
- Aimez l'architecture. Gio Ponti.
- Manifeste des conservateurs. Giuseppe Prezzolini.
D'autres livres sont par ailleurs en préparation :
- Vérité et Interprétation. Luigi Pareyson.
- La peinture entière en presque rien. Anne Savary.
- Étranger. Umberto Curi.
- Pensées à Giulia. Giuseppe Capograssi.
N'hésitez pas à nous contacter si vous souhaitez soutenir tel ou tel projet en particulier.
À paraître en 2025
Émilie Beck-Saiello, « Car c'est moy que je peins. » Stratégies familiales et professionnelles de Joseph Vernet à travers l'étude de son livre de raison et de sa correspondance. 3 volumes reliés sous coffret de 592, 720 et 782 pages, format 16 x 22,5 cm ; 180 illustrations couleur et noir et blanc.
Voici le modèle d'une histoire de l'art conçue comme une interrogation sur le socle de « culture matérielle » donnant aux ouvrages d'exister, une sorte de genèse économique et sociale de leur production.
Sans doute ces volumes offrent-ils l'ouvrage de référence pour les amateurs de Joseph Vernet, et ouvrent-ils plus largement une précieuse source d'information à tous ceux qui s'intéressent à l'art sous les Lumières, et à ce que signifie être peintre, vivre en tant que peintre, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle — les livres de comptes de Joseph Vernet et de son épouse étant les plus détaillés qui nous soient parvenus d'un peintre.
Mais ils éclairent aussi d'autres régions de la production, en tant qu'elle est en l'occurrence une affaire familiale et sociale, dans toute la précision de leur déploiement ; l'édition intégrale et critique des divers livres de comptes (« livres de raison ») est à cet égard décisive, à proportion de son abondant appareil de notes, véritable mine pour tous les curieux d'histoire. Elle rend sa place, aussi bien, à Madame Vernet (Virginia Parker), et fait mesurer l'importance de sa contribution pour le succès de son mari.
La « question de la peinture » se voit donc déplacée de bien des façons : l'activité d'un peintre au XVIIIe siècle ne saurait se réduire aux seuls éléments à la fois concrets mais arrachés à la dimension de la vie, donc finalement abstraits, que sont ses œuvres sub specie æternitatis ; elle se déploie dans l'espace propre à toute vie — ce que voudrait signifier le mot de Montaigne choisi pour titre de cette enquête.
Chiara Gaggiotti, L'indispensable motif. Textes de Jean Chavot, Louis Pailloux, Alain Madeleine-Perdrillat. 1 volume broché de 96 pages, format 16 x 22,5 cm ; 62 illustrations en couleur.
Dans le monde de Chiara Gaggiotti, la vérité (mot qu'elle affectionne particulièrement et qui est presque synonyme chez elle de beauté) naît d'un accord établi sur le déséquilibre d'une situation impossible : exister entre ce qui est vu et ce qui est pressenti dans ou derrière ce qui se montre. Car l'art de Chiara Gaggiotti est aussi un art du pressentiment et de l'anticipation : de ce que sa peinture va ou doit devenir, de ce qu'il y a au-delà de ses portes, de ses fenêtres et de ses toits. Dans son œuvre, le figuré ne cesse d'ouvrir sur l'infigurable. Et c'est de cette dialectique secrète que sont faites toutes ses toiles. En somme, ce qui est peint fait signe vers ce qui l'est déjà ou ce qui ne l'est pas encore, de sorte que sa peinture se situe à un curieux moment du temps où le présent est toujours l'ébauche d'une unique toile mille fois déclinée, dessinée, en train de se peindre.
Le « difficile » souvent rappelé par Chiara Gaggiotti, c'est de ne pas céder aux clôtures trop simples, de ne pas borner abusivement le Côté de Barbès ou le Côté de Rome qu'elle aura choisi de rendre, mais, « proustiennement », de les faire dialoguer, de les faire se rencontrer. Rarement, faut-il le dire, la matière du monde, formelle, par plans, lignes et étendues, n'aura semblé plus infinie ni plus susceptible de correspondances, de ramifications et d'entrelacements généreux et profus.
Andrea Emo, Suprématie et malédiction. Traduit de l'italien et préfacé par Arnaud Clément. Postface de Laura Sanò. 1 volume broché de 224 pages, format 16 x 22,5 cm.
Andrea Emo (1901-1983) est un philosophe italien qui a ceci d'étrange qu'aucune de ses pages n'a été publiée de son vivant. Et pourtant il entretint une intense activité d'écriture de 1918 à sa mort. Il rédigea ainsi près de 400 cahiers (38 000 pages) où il développa une pensée comptant parmi les plus originales du XXe siècle.
Il appartenait par son père à une illustre famille de l'aristocratie vénitienne, et par sa mère, à une lignée non moins illustre de nobles napolitains. Il poursuivit ses études de philosophie à la faculté de Lettres et de Philosophie où il eut pour maître Giovanni Gentile. Son caractère imperturbable lui valut le surnom de « Sérénissime », par allusion aussi à ses origines vénitiennes. Sa vie fut partagée entre ses occupations familiales, la gestion de son patrimoine, des amitiés rares mais profondes, et la poursuite de ses recherches philosophiques dont il refusa toujours de publier, malgré l'invitation de ses amis, le moindre mot.
Le choix de présenter au public Suprématie et malédiction, c'est-à-dire l'intégralité de son Journal de l'année 1973, pour une première traduction française, n'est pas fortuit : non seulement il s'agit de la première publication d'une section autonome des manuscrits de l'auteur, mais l'année 1973 est une période significative de la philosophie d'Emo, celle de sa maturité. Les éléments structurants de sa philosophie s'y trouvent définis dans tout l'aboutissement de la pensée et toute la virtuosité du style.
Présenter Emo au public français ne pouvait se faire qu'à l'aide d'un ouvrage qui fût exemplaire à tous ces titres : la construction du raisonnement, le style de l'écriture, la diversité des thématiques et des enjeux. Suprématie et malédiction montre la philosophie d'Emo dans ce qu'elle a de plus singulier, celle d'un auteur aussi inclassable qu'un Nietzsche.
Andrea Emo, Lettres à Cristina Campo. Traduit de l'italien par Christophe Carraud. Préface de Louis Pailloux. 1 volume broché de 112 pages, format 13,3 x 20 cm.
En 1972, Andrea Emo, cet étrange philosophe qui ne cesse d'écrire sans jamais rien publier, fait une lecture éblouie des Impardonnables de Cristina Campo. Sans la connaître, il adresse aussitôt une lettre de gratitude à son auteur.
Ces deux esprits singuliers perçoivent immédiatement ce que Charles Du Bos eût appelé « le sourd murmure de leur identité ». Une amitié profonde est née : Andrea Emo lui confie, de cette première lettre à la dernière, quelques mois avant la mort de Cristina Campo, l'expression souveraine et libre de sa propre pensée. Le lecteur y trouvera le condensé d'une philosophie inquiète et subtile, à la fois amoureuse du monde et hostile à ce que les deux amis croient le voir devenir.
Giuseppe Capograssi, La nouvelle démocratie directe. Traduit de l'italien et préfacé par Christophe Carraud. 1volume relié sous jaquette de 496 pages, format 16 x 22,5 cm.
Septième volume des Œuvres de Giuseppe Capograssi. Sans doute faudrait-il traduire tout Capograssi, comme on le fait des plus grands. Nous nous y employons pas à pas. Ce volume, à sa mesure propre, voudrait permettre au lecteur, en juxtaposant un texte de jeunesse et les tout derniers de l'auteur, de tenir dans la même main, pour ainsi dire, nombre des dimensions qu'aborde le philosophe italien. C'est ce qui fait de Capograssi, à première vue, un auteur déroutant — car construire un système éthéré, tout théorique ou interne à l'histoire de la philosophie, ne l'intéresse pas s'il n'en passe pas par l'épreuve de l'expérience commune, ou, plus précisément, s'il ne provient pas de celle-ci : d'où, dans ce volume, la présence d'un essai aussi clairvoyant que précis de droit constitutionnel sur la forme à donner à la démocratie (1922 ; texte du reste visionnaire, qui semble annoncer la constitution de la Ve République…), où viennent s'éprouver les hypothèses théoriques de l'Essai sur l'État (1918) et des Réflexions sur l'autorité et sa crise (1921), et celle des derniers développements de sa pensée (1956) sur l'unité fondamentale de l'expérience concrète comme expérience juridique, c'est-à-dire comme union de la vie avec la vie (la vie des autres sujets, la vie des choses) sous toutes ses formes.
Ce volume comporte les textes suivants :
- La nouvelle démocratie directe
- Le nouveau régionalisme
- La révolution administrative
- La réforme électorale en France
- L'expérience concrète
- L'expérience juridique dans l'histoire
- Inachèvement de l'expérience juridique
- Notes sur l'expérience juridique
Il s'achève sur l'étude synthétique qu'a proposée Mario D'Addio en 2008 sur « Capograssi et le problème de l'État ».
Danielle Moyse, Contradictions médicales (et autres bizarreries affectant le droit, la santé et la vie). 1 volume broché de 264 pages, format 13,3 x 20 cm.
Ce volume recueille quinze ans de chroniques de « bio-éthique » publiées par l'auteur dans le journal La Croix. Il procède d'un étonnement de fond devant ce qu'il est convenu d'appeler « les avancées de la médecine » : ne révèlent-elles pas le plus souvent l'égarement d'une société qui rend le droit, cette pierre milliaire de la vie humaine en son souci de justice, disponible à tous les caprices individuels, et serf de l'idole technique que devient la médecine en l'absence d'une vision cohérente de ses propres fins ? La médecine elle-même, fascinée par ses instruments et ses possibilités de prétendue maîtrise du « vivant », n'avance-t-elle pas en réalité de contradiction en contradiction ?
En sorte que le comble de sa « rationalité » technique rejoint l'irrationalité même qui marque la souveraineté aveugle du désir individuel soumettant la loi aux caprices orchestrés de l'opinion. Ajoutons à cela une vision gestionnaire de la santé, et c'est la vie elle-même que la médecine risque de menacer en ses « avancées » les plus « audacieuses ». Ainsi en va-t-il de maints domaines explorés par ces chroniques — partout où technique et opinion, loin de les seconder, défigurent droit et démocratie.
Gio Ponti, Aimez l'architecture. Traduit de l'italien, annoté et postfacé par Christophe Carraud. (Mise en page conforme à celle que Ponti avait lui-même conçue pour son ouvrage.) 1 volume broché de 376 pages, format 13,6 x 18,5 cm, nombreuses illustrations.
Joseph Rykwert ne s'y était pas trompé, lorsqu'il écrivit des pages en mémoire de son ami Gio Ponti (1891-1979), marquant sa profonde différence avec les architectes de son temps : « Il est difficile de trouver une photo des grands modernistes — Le Corbusier, Gropius, Mies — en train de rire ou même de sourire. La plupart du temps, ils ont l'air austères, propres sur eux, “autoritaires”. Ce n'est pas le cas de Ponti — ébouriffé par le vent sur la photo la plus connue de lui, prise à la fin de sa vie, mais que l'on voit souvent en train de jouer avec un des objets qu'il a conçus. Son humour semble avoir débordé dans son travail comme dans ses nombreuses lettres, chaque jour ou presque — ce même humour qui envahissait toutes ses activités —, au point qu'en lui parlant, on avait l'impression que son dernier projet portait sur la chose la plus amusante qu'on puisse imaginer. » On l'aura compris : Aimez l'architecture est un texte hors du commun… Gio Ponti, à la fois architecte, designer, céramiste, directeur de revue, le publia au sommet de sa carrière, en 1957. Dès son titre, c'est bien d'un engagement qu'il s'agit, mais qui laisse au lecteur — effet sans doute de la foi de Ponti, tout ensemble foi en l'architecture et foi religieuse — le soin de se prononcer lui-même en faveur de l'adoption ou non des propositions qui lui sont faites.
Car Aimez l'architecture n'est pas un traité, ni un discours monolithique cherchant à provoquer, à dominer l'adhésion. C'est un texte au sens propre du terme, c'est-à-dire un tissu, une collection d'idées reflétant celles qui se sont accumulées au fil du temps chez l'auteur. Un livre fait « comme on peint », avec de multiples retouches, de nombreux repentirs, et qui pourtant, à la fin, compose un tableau. La chose n'est pas fréquente, en un siècle où ont plutôt prévalu les manifestes, ou les déclarations impérieuses. « Il existe », écrit Ponti, « outre la logique directe et glorieuse de la pensée, outre la logique de la logique, a priori, qui conduit à un résultat irréprochable, logique, par un processus logique, il existe aussi une logique anecdotique, illogique, qui suit des itinéraires éprouvants, et procède par constatations a posteriori, par rattrapages : empirique. Elle nous conduit, à travers le métier, sur des chemins de traverse et aussi d'imagination, vers des objectifs dont nous finissons par reconnaître la substance logique. »
C'est bien à ce parcours aussi sérieux que drôle et parfois étrange que Ponti nous convie, d'un chapitre à l'autre, d'une page à l'autre, et presque d'une phrase à l'autre. Ponti avait été particulièrement marqué par la définition que Persico proposait de l'architecture, ou plutôt qu'il suggérait à la fin d'un article célèbre de 1934, citant en réalité un passage de la Lettre aux Hébreux : « La substance des choses qu'on espère. » C'est en cette substance, travaillée d'idéaux toujours à remettre concrètement sur le métier, que, pour Ponti, l'architecture consiste.
Giuseppe Prezzolini, Manifeste des Conservateurs. Suivi de trois études sur Prezzolini par Augusto Del Noce. Traduit de l'italien et préfacé par Christophe Carraud. 1 volume broché de 208 pages, format 13,3 x 200 cm.
La très longue vie de Giuseppe Prezzolini (1882-1982) lui a permis d'être l'un des personnages centraux de la vie intellectuelle italienne. Il a fondé très jeune, au début du siècle, la revue la plus décisive de cette histoire intellectuelle et littéraire, La Voce, à laquelle ont collaboré presque tous les grands noms qui suivraient. Personnage étrange et ondoyant, il a cristallisé sur lui et sur l'ambiguïté de ses positions aussi bien la fascination que le rejet : incarnant en cela, comme le montre Augusto Del Noce dans les études qu'il lui a consacrées, une part essentielle de l'histoire italienne.
En 1972 — il a alors 90 ans —, devant les changements souvent discutables opérés par une société impatiente, il s'interroge non sans humour sur ce qui fait réellement sa substance, et donc sur ce qu'il convient de conserver sans se prendre au miroir aux alouettes du progrès comme idole — se souvenant sans doute des réflexions que proposait Stefano Jacini, en 1879, sur les « idées conservatrices ». C'est aussi l'occasion pour lui de se retourner sur son propre itinéraire, et de poser la question de l'interprétation de l'histoire italienne et des redoutables ambiguïtés affectant la définition et la réalité du fascisme, et, partant, de son envers qui ne fait qu'en confirmer la logique souvent contradictoire, l'antifascisme.